En application de l’article L 1121-1 du code du travail, tout salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Le respect de cette sphère privée implique notamment le secret des correspondances du salarié.
Les correspondances émises par le salarié depuis son ordinateur professionnel ne relèvent pas de facto de sa vie professionnelle et ce même si le salarié a utilisé une messagerie professionnelle. Au fil de ses jurisprudences, la Cour de cassation dessine les contours et les limites du respect à l’intimité de la vie privée du salarié.
L’employeur ne peut pas sanctionner un salarié au motif du contenu de ses messages personnels sans violer le secret des correspondances
La Cour de cassation a, depuis de nombreuses années, développé une jurisprudence abondante s’agissant d’une part, de la possibilité pour l’employeur de prendre connaissance de correspondances réceptionnées ou envoyées par le salarié sur son lieu de travail et, d’autre part, des conséquences que l’employeur peut en tirer à l’égard du salarié.
Présomption du caractère professionnel des mails figurant sur la boite mail professionnelle du salarié
S’agissant de l’ouverture des mails, le salarié étant présumé utiliser son ordinateur professionnel uniquement pour l’exécution de ses fonctions, les messages contenus dans sa boite électronique professionnelle sont présumés avoir un caractère professionnel (Cass. soc., 15 décembre 2010 n°08-42.486 ; Cass. soc., 18 octobre 2011 n°10-26.782). L’employeur peut donc les ouvrir et en prendre connaissance sans violer le secret des correspondances.
Présomption…sauf pour les mails identifiés comme personnels par le salarié
La présomption du caractère professionnel des mails tombe dès lors que le salarié les a identifiés comme personnels.
En effet, si l’ordinateur professionnel est présumé n’être utilisé que pour les besoins du travail du salarié, la chambre sociale a néanmoins du adapter sa position puisqu’il est en réalité fréquent que le salarié fasse des utilisations personnelles du matériel informatique.
Protection des droits du salarié même sur le lieu de travail
L’employeur pouvant ouvrir et consulter messageries et fichiers du salarié, il était nécessaire que les droits du salarié soient préservés : droit au respect de l’intimité de sa vie privée, droit au secret de ses correspondances. Ces droits ne pouvant être envisagés qu’en les conciliant avec les intérêts de l’entreprise.
Si l’employeur peut toujours consulter messages et correspondances du salarié, il ne peut pas toujours s’en servir pour sanctionner le salarié (Cass. soc., 5 juillet 2011 n°10-17.284).
Confirmation du droit du salarié au respect de sa vie privée et au secret de ses correspondances
Dans un arrêt du 25 septembre 2024 (n°23-11.860), la Cour de cassation poursuit sa construction quant au secret des correspondances du salarié.
Le contexte
Dans cette affaire, le salarié, cadre dirigeant, a été licencié pour faute grave en raison de plusieurs griefs : les uns liés à sa participation à une entreprise tierce à laquelle ont été réglées des factures pour des prestations fictives sans contrat et pour lesquelles il a réclamé des frais professionnels, les autres liés à ses envois de mails à caractère sexuel depuis son ordinateur professionnel.
Pour la cour d’appel, ces mails avaient un caractère privé, aucun fait n’était pénalement répréhensible, ils n’étaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, ils ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, n’apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, étaient étrangers à tout harcèlement sexuel.
La procédure
La cour d’appel de Versailles, dans un premier arrêt du 6 juin 2019, confirmant le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 5 mai 2017, déboute le salarié de ses demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié obtient devant la cour d’appel de renvoi autrement composée à la suite de cassation intervenue par arrêt du 2 février 2022 (Cass. soc., 19-23.345), la nullité de son licenciement pour violation de sa liberté d’expression (Cour d’appel de Versailles, 8 décembre 2022 n°22/00880).
L’enjeu juridique : Violation de la liberté d’expression ou atteinte à la vie privée du salarié ?
Dans cette affaire, la cour d’appel avait considéré que la nullité du licenciement résultait de la violation de la liberté d’expression du salarié. Or, les licenciements prononcés en raison de l’envoi de messages non professionnels ne sont jamais annulés au motif qu’ils constituent une violation de la liberté d’expression du salarié mais une violation de sa vie privée.
Si les messages en question dans cette affaire contenaient des blagues et commentaires vulgaires et sexistes, il n’était pas fait grief au salarié d’avoir tenus des propos déplacés. Il n’exprimait d’ailleurs pas dans ces messages d’opinion particulière.
La décision : L’employeur ne peut utiliser le contenu des messages personnels envoyés par le salarié avec un outil informatique mis à disposition pour son travail pour le sanctionner
La Cour de cassation procède dans cet arrêt à une substitution des motifs : elle considère que le licenciement ne porte pas atteinte à la liberté d’expression du salarié mais qu’il porte atteinte au droit au respect de l’intimité de sa vie privée.
La chambre sociale rend sa décision sur le fondement des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, de l’article 9 du code civil et de l’article L 1121-1 du code du travail.
Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner. Ensuite, il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
La Haute juridiction reste donc fidèle à sa position et tire les conséquences de l’illicéité du motif de licenciement fondé sur la violation de la vie privée du salarié.
Comme le rappelle l’avocate générale dans son avis joint à l’arrêt, s’agissant de correspondances ou de fichiers à connotation sexuelle, l’employeur peut seulement faire grief au salarié soit :
- d’avoir manqué à ses obligations contractuelles;
- d’avoir fait un usage abusif de l’outil informatique professionnel à des fins privées (Cass. soc., 16 mai 2007 n°05-43.455; Cass. soc., 18 décembre 2013 n°12-17.832);
- la commission de faits délictueux tels que la pédophilie, susceptibles de nuire aux intérêts de l’entreprise (Cass. soc., 2 juin 2024 n°03-45.269).
Dans l’affaire en question, les messages adressés par le salarié n’étaient pas très nombreux et aucun fait pénalement répréhensible susceptible de nuire à l’entreprise n’avait été relevé.
Sanction de la violation de la vie privée du salarié : Nullité du licenciement
Les propos échangés par le salarié étant d’ordre privé, sans rapport avec son activité professionnelle et non destinés à être rendus publics, le licenciement du salarié n’était pas justifié. Il était en outre atteint de nullité puisqu’il violait le droit au respect de sa vie privée.
La solution rendue par la Cour de cassation ne surprend pas et s’inscrit dans la ligne de sa jurisprudence.
Le licenciement intervenu en violation d’une liberté fondamentale entraîne à lui seul sa nullité.
