Préjudice et réparation automatique du salarié : La liste des manquements de l’employeur ouvrant droit à réparation automatique pour le salarié s’allonge

Depuis une décision du 13 avril 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement de sa jurisprudence dite « du préjudice nécessaire » (Cass. soc., 13 avril 2106 n°14-28.293).

Jusqu’à cet arrêt, la Cour de cassation déduisait de la majeure partie des manquements de l’employeur à ses obligations tant légales que conventionnelles, l’existence d’un préjudice ouvrant droit pour le salarié à une réparation indemnitaire automatique.

Revirement : Abandon de la jurisprudence de réparation du « préjudice automatique » du salarié

Depuis cette décision du 13 avril 2016, la Haute juridiction considère que l’existence d’un préjudice et son l’évaluation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Cela suppose que désormais, les salariés doivent :

  • apporter des éléments justifiant du préjudice qu’ils prétendent avoir subi;
  • démontrer l’étendue de ce préjudice pour le chiffrer.

Abandon du principe de réparation automatique…sauf exceptions

Toutefois, la chambre sociale a dès 2017, admis certaines exceptions à ce principe. Les salariés peuvent donc obtenir une indemnisation sans rapporter la preuve de leur préjudice dans un certain nombre de cas, limitativement énumérés par la Cour de cassation.

Ainsi, constituent un manquement de l’employeur causant nécessairement un préjudice au salarié ouvrant droit à réparation :

Par plusieurs arrêts du 4 septembre 2024, la Cour de cassation admet de nouvelles exceptions

Dans la première affaire (n°23-15.944), une salariée avait saisi le conseil de prud’hommes d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail et sollicitait la condamnation de l’employeur au versement de dommages et intérêts au titre du :

  • non-respect de ses temps de pause quotidien,
  • travail effectué pendant un arrêt maladie.

Dans la seconde affaire (n°22-16.129), une salariée avait saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir condamner son ancien employeur au paiement de dommages et intérêts pour :

  • absence de visite médicale,
  • violation par l’employeur de son obligation en matière de santé et de sécurité au travail en lui fournissant du travail pendant son congé maternité.

Dans la troisième affaire (n°22-23.648), une salariée sollicitait le versement de dommages et intérêts au titre du non-respect par l’employeur de son obligation de lui faire passer une visite médicale à la suite de sa déclaration d’invalidité.

Dans la quatrième affaire (n°22-20.917), plusieurs salariés ayant fait valoir leurs droits à la retraite sollicitaient la condamnation de leur ancien employeur en indemnisation des préjudices subis résultant du défaut de remise de plusieurs documents relatifs à leur exposition à l’amiante ainsi qu’à des agents cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR).

Non-respect du temps de pause quotidien

Dans la première affaire, si la cour d’appel avait bien constaté que l’employeur avait manqué à son obligation relative aux temps de pause quotidien, elle avait débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts au motif que celle-ci ne s’était jamais plainte, tout au long de la relation contractuelle, de ne pas avoir pu bénéficier de sa pause de vingt minutes le lundi.

Sur le fondement de l’article L 3121-33 al. 1 du code du travail (devenu L 3121-16) interprété à la lumière de l’article 4 de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, la Cour de cassation décide que le manquement de l’employeur à son obligation de faire bénéficier la salariée d’un temps de pause au-delà d’un temps de travail quotidien de six heures lui cause nécessairement un préjudice.

Le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation.

Travail pendant l’arrêt maladie ou le congé maternité

Dans la première affaire (n°23-15.944), la cour d’appel avait débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts après avoir constaté que l’employeur avait manqué à ses obligations en faisant venir la salariée trois fois pendant son arrêt maladie pour accomplir ponctuellement et sur une durée limitée une tâche professionnelle, retenant que l’intéressée ne démontrait aucun préjudice spécifique.

La chambre sociale, au visa des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-4 du code du travail interprétés à la lumière des articles 5 et 6 de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, considère que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Lorsqu’il confie des tâches à un travailleur, l’employeur doit prendre en considération les capacités de ce travailleur en matière de sécurité et de santé.

Le seul constat du manquement de l’employeur en ce qu’il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation.

Dans la seconde affaire (n°22-16.129), la cour d’appel avait également retenu que l’employeur avait manqué à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité et néanmoins débouté la salariée au motif qu’elle ne justifiait d’aucun préjudice.

C’est au visa des articles L. 1225-17, alinéa 1, et L. 1225-29 du code du travail, interprétés à la lumière de l’article 8 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail que la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel et poursuit sa construction juridique quant au préjudice automatique et ajoute le cas du travail durant un congé maternité.

Le seul constat du manquement de l’employeur en ce qu’il a fait travailler un salarié pendant son congé maternité ouvre droit à réparation.

Exigence de la preuve maintenue pour certains préjudices

Défaut d’organisation d’une visite médicale

Dans la seconde affaire (n°22-16.129), la Cour de cassation a approuvé l’analyse des juges du fond qui ont constaté que la salariée ne justifiait d’aucun préjudice du fait de l’absence de suivi médical et de visite de reprise à l’issue du congé maternité.

Dans la troisième affaire (n°22-23.648), le raisonnement est identique s’agissant de la salariée qui se plaignait de pas avoir bénéficié de la visite de reprise à la suite de son classement en invalidité de deuxième catégorie et d’avoir été déclarée inapte six ans plus tard. La salariée ne démontrant pas de préjudice né du retard dans la constatation de son inaptitude, sa demande d’indemnisation est rejetée.

Défaut d’information du salarié exposé à l’amiante ou à des agents cancérigènes

Dans la quatrième affaire (n°22-20.917), les salariés réclamaient l’indemnisation du préjudice résultant selon eux du défaut de remise par l’employeur de l’attestation d’exposition aux agents cancérigènes et chimiques CMR et de la remise tardive de celle relative à l’amiante. Ils faisaient valoir que ces manquements leur causaient nécessairement un préjudice car les dossiers médicaux déterminant leurs protocole de soin étaient incomplets.

La chambre sociale, confirmant ainsi les arrêts de la Cour d’appel de Versailles, a estimé si l’employeur n’avait effectivement pas remis les fiches et attestations d’exposition aux salariés, ces derniers ne justifient d’aucun préjudice lié à ce manquement.

Le pouvoir d’appréciation des juges du fond reste souverain quant aux éléments de preuve de l’exposition personnelle des salariés générant un risque élevé de pathologie grave.

Partager :
LinkedIn
WhatsApp
Email

Parcourir les catégories :